Ce que j’aimerais dire « aux Survivants » de mon avortement…
Désormais cet espace est à vous ! Vous pourrez retrouver tous les 15 jours un article écrit par l’un(e) d’entre vous ! L’équipe de Tais Toi Quand Tu Parles publie les articles mais le contenu reste la propriété de l’auteur. Nous vous invitons à découvrir, partager et apprendre grâce à ces invités. Bonne lecture.
Aujourd’hui c’est Elsa, 33 ans, Kinésithérapeute (elle nous a autorisé à donner son âge et son métier pour montrer que l’âge et la classe sociale ne sont pas des éléments déterminants). Si jamais vous avez des questions, des remarques (dans le respect), une vision que vous souhaitez partager… n’hésitez pas nous lui transmettrons !
« Il y a 10 jours, je suis tombée sur des images de la manifestation des Survivants comme ils aiment à s’appeler. Et j’en fût profondément choquée. Choquée de ces propos et idées obscurantistes et réactionnaires sur l’avortement, choquée par leur bêtise, choquée de voir de si jeunes femmes (17/18 ans tout au plus) engrainées (car il ne peut ne s’agir que de ça) dans une pensée qu’elles n’ont pas la maturité de pouvoir comprendre.
Je ne souhaite pas me faire porte-parole du pro-avortement. J’aimerais juste aujourd’hui, qu’au 21ème siècle, qu’en 2016, la femme puisse faire ses propres choix, peut-être même ses propres erreurs, en son âme et conscience sans être jugée d’une quelconque façon (ni positivement, ni négativement).
Il y a deux ans j’ai été confrontée à ce dilemme. Je suis tombée enceinte… par accident dit-on. Comment une femme de trente ans, éduquée, diplômée, plus qu’au courant des divers moyens de contraception existants, adepte de la pilule et du préservatif peut tomber enceinte de nos jours ? Moi même je ne me l’explique pas. Acte manqué peut-être, quand un désir d’enfant trop violent se fait sentir. Destin, pour les plus croyants d’entre nous. La faute à pas-de-chance pour les plus défaitistes…
Quoi qu’il en soit, cet alien (comme je me plais à l’appeler) avait décidé de faire de moi sa maison. Dès le premier jour de retard je l’ai compris. Au début je me voilais la face, priant pour que ces satanées règles arrivent. Ma poitrine gonflait et me faisait un mal de chien. J’avais des nausées, il m’était impossible d’avaler le moindre bout de viande sans vomir (la blague c’est que le “père” est végétarien). Je ressentais une énorme fatigue physique et émotionnelle. J’étais seule, fraîchement séparée de mon compagnon, cet alien était issu d’une aventure sans lendemain. Précaire professionnellement et sans le sous ou presque, comment mettre un enfant au monde dans ces conditions ?
On dit souvent que l’avortement est un choix égoïste, je ne suis pas d’accord. L’avortement est un énorme sacrifice tant physique que moral et même si c’est un choix aucune femme n’en sort vraiment indemne.
Ma décision fût prise assez rapidement, mais la culpabilité m’a longtemps étreinte. Passant de longs moments à parler à cet alien, à lui expliquer ma décision, lui demander pardon aussi. Je lui ai même écrit une lettre, conservée précieusement.
Personne autour de moi n’était au courant. Ni ma famille, ni mes amis, et encore moins le “père”. C’était mon secret. Je n’en ai parlé qu’à une seule amie au final. Un fardeau ne peut pas toujours se porter seule. Je sais qu’elle ne cautionnait pas forcément, mais elle a eu la délicatesse de ne rien dire. J’ai fait mes démarches seule. Le jour J j’étais seule. Seule face à mes doutes, face à culpabilité étrange, face à la douleur.
Aujourd’hui encore je suis seule face à cette expérience. Seule à comprendre pourquoi je m’insurge si fort contre certaines remarques, certains discours. Seule aussi (parfois j’en ai la douloureuse impression) à vouloir remercier les 343, Simone Veil, toutes nos grands-mères et mères qui se sont battues pour les droits des femmes, à saluer l’existence du Planning Familial évoluant encore trop dans l’ombre aujourd’hui…
De cet embryon je ne garde que des souvenirs de sensations étranges, une douce pensée chaque année au jour théorique de sa naissance et un dégoût pour la viande. Je n’ai pas voulu de cet enfant, je suis fière de mon choix et je l’assume. J’ai le droit de ne pas avoir à me justifier, ne ne pas avoir à me culpabiliser et surtout de ne pas avoir à subir les jugements de groupes néo-retrogrades. »
8 commentaires
Fabrice
Bonjour,
je trouve cet article et votre position tout à fait justes.
En complément je serais curieux de connaitre votre point de vue sur le droit au choix du père dans cette situation. Quid du père qui aurait aimé être père et à qui la mère n’a pas demandé son avis pour avorter ? Quid du père qui aurait aimé justement ne pas l’être (avec cette femme ou n’importe quelle autre) et à qui la mère impose la paternité ?
dee
Bonjour Fabrice,
Je me suis rapidement rapprochée de Elsa suite à votre commentaire.
Quid de la mère ?? Elle va devoir porter pendant 9 mois un enfant qu’elle ne désire pas ??? Pour quelle suite ? « l’offrir » au père. On peut aussi évoquer la mère et du droit de disposer de son corps… Ici, dans cette histoire l’enfant n’a été souhaité par aucune des deux parties, du coup demander son avis au père qui n’a pas fait part d’une volonté d’être géniteur….
En somme, il n’y a pas de réponse unique à toutes vos questions, mais dans ce cas précis, Elsa n’a floué personne et fait un choix inhérent à sa vie.
Fabrice
Je n’émets aucun jugement, au contraire. Surtout dans ce cas où personne ne voulait de l’enfant. Non ma question portait plutôt sur le cas de figure où une des deux parties ne souhaite pas d’enfant : qui a le dernier mot, est ce systématiquement la mère parce que cela passe par son corps?