Nos sentiments et ressentis de noirs qui doivent être enfouis pour préserver nos amis : Spoiler >> j’ai perdu une amie avec cet article
Cet article avait été ecrit en mars 2018 et je ne l’avais pas publié car avant de le publier cela avait amené une discussion vive et je l’avais envoyé à l’amie concernée avant ; elle ne m’a pas interdit de le publier mais quelque part j’ai culpabilisé à l’idée d’exprimer ce que la conversation avait reveillé chez moi. Et avec tout ce qu’il se passe en ce moment, je m’en suis rappelée et surtout je me suis suis souvenue de cette auto-censure faite. Je me suis censurée sur mon ressenti pour préserver celui de mon amie.
Les gens ne savent pas le nombre de fois où en tant que femme noire j’ai dû me taire pour préserver les autres ou des amitiés car parler amène des reflexions ou visiblement un désamour.
La chose drôle est qu’au finale malgré le fait que je n’ai pas publié cet article etc nous ne sommes plus amies 🙂 . Je ne regrette pas d’avoir été amie avec mais j’espère que les discours et événements récents ont permis de faire naître en elle une prise de conscience sur ce que je voulais évoquer.
Les réactions des personnes blanches lorsqu’on parle de nos sentiments, quand on dit qu’on est blessé etc sont autant de raison qui font que certains noirs n’échangent qu’avec la communauté. C’est difficile de trouver un lieu « safe » où tout ce qu’on dit n’est pas décrié.
Ce sera donc un long article et il y en aura d’autres car en 2020 j’ai enfin appris que si m’exprimer me fait du bien et dans la mesure où je respecte l’autre alors je ne peux pas être garante ni responsable de la manière où l’autre reçoit mon message.
Asseyez vous et bienvenue sur cet article de 2018 si vrai encore (malheureusement) en 2020
L’article retour vers le futur
Il y a quelques semaines, j’ai eu un échange qu’on qualifierait de vif si on était sur un blog bien parlant mais comme on est chez TTQTP, je vais dire « de ouf » avec une amie.
C’est une amie très proche, avec laquelle on partage beaucoup de convictions et batailles mais on partage surtout un caractère fort et entier. Comme on se connait bien, on se maîtrise mais parfois on s’emporte.Mais comme l’amitié c’est aussi se respecter, on a su se calmer (la fille est nulle en teasing elle donne la fin de l’histoire dès le 1er paragraphe) et nous rappeler qu’en vrai notre amitié est plus importante que nos prises de positions.
Je ne reviens pas sur cette histoire pour définir qui de nous deux avait tort ou raison mais il y a deux ou trois éléments qui m’ont marqué dans les reproches faits de part et d’autres et aussi dans la vision qu’on avait de la situation et de ce qu’être noire dans ce doux pays.
Je ne saurai pas mettre des mots sur le sujet de la dispute, je ne peux donner qu’un contexte car au final, je pense que la dispute est née d’une frustration des deux côtés et d’une vision différente de la position de chacune. [ndlr 2020 : j’ai vraiment pris ma part de responsabilité alors que j’avais absolument pas à m’excuser ou culpabiliser mais bon l’habitude…]
Synopsis : Elle ne voulait pas voir Black Panther car blockbuster, Marvel, distribué par des gros cinémas, avec des comédiens noirs, qui vend du communautarisme… elle préfère les films avec plus de réflexion, sur les vrais héros du quotidien, des productions à niveau plus humains, soutenir des petits cinémas…
Ses arguments se tiennent ! Elle parlait d’un documentaire sur le Congo qu’elle avait vu et elle a eu une phrase que j’ai trouvé mal venue » les sociétés et les gens qui pourraient s’identifier crachent sur le cinéma indépendant et les documentaires mais attendent que les WASPs s’intéressent au sujet ».
Cela à déclenché mon émotion et c’est parti en vrille comme dans Love and Hip Hop (oui à partir de cette ligne je ne citerai volontairement que des références que les noirs et les hypes sont sûr de comprendre ^^)
Je me suis énervée et elle m’a reproché mon agressivité. Je ferme la parenthèse sur cet événement précis et je reviens dans une globalité.
J’ai été bléssé par les échanges (encore une fois c’est un article écrit de mon point de vue donc forcément arbitraire) pour différentes raisons ; et je l’ai dit et je le répète, mon amie aussi ouverte d’esprit, « woke » (= consciente), cool et absolument pas raciste, anti-sémite, xénophobe etc soit -elle ne peut pas comprendre et je n’attends pas forcément qu’elle comprenne car on ne peut jamais ressentir la peine de quelqu’un tant qu’on ne l’a pas vécu.
Mon amie ne voyait pas le souci, peut-être parce que je n’ai jamais expliqué avant ce jour le souci, et encore une fois ce n’est pas pour dire qu’elle avait tort et moi raison parce que j’ai mes torts, mais un vrai besoin d’extérioriser cette frustration qui est parfois mienne.
– Nous n’attendons pas (nous = noirs) que les blancs, asiatiques, arabes, indiens, extraterrestres ou autres s’intéressent à nos sujets et les mettent en avant. Le faire pour dénoncer c’est bien, c’est citoyen et c’est important mais ne le faites pas en attendant des récompenses et en jugeant les noirs, arabes, asiatiques ou autres qui n’en font pas autant ! [ndlr 2020 : être noir au quotidien suffit à porter la cause au vue de tout ce qu’on vit]
– Nous les noirs ne connaissons pas l’histoire de toute l’Afrique ( 54 pays, des centaines de langues et dialectes et des milliers de traditions et cultures) et on n’a pas à la connaître dans les détails de la même manière que vous ne connaissez pas tout ce qu’il y a à savoir sur l’Europe + L’Amérique + Océanie….
D’ailleurs les noirs il y en a partout pas qu’en Afrique donc…
– Le cinéma existe depuis plus de 100 ans et l’industrie est certes gérée par des blancs mais on va arriver aussi [ndlr 2020 : D’ailleurs le Studio de Tyler Perry, les realisations et productions de Jordan Peel, Spike Lee, Ava Duvernay, Steve McQueen … sont autant de pas] ; on n’a pas le même tiiming parce qu’on a eu des obstacles un peu lourds (je dis ça comme ça mais bon … c’est pas pour excuser mais les guerres, la colonisation, l’esclavagisme, les trafics d’humains, les zoos humains…. bein ça occupe. Quand on essaie de survivre on est un peu pris).
Du coup on se réjouie des petites victoires en attendant les grandes et que tout ça tombe dans la normalité (d’ailleurs idem un film avec que des arabes dans des 1ers rôles et une histoire qui tient la route, je vais tellement payer pour aller le voir parce que nos victoires on les partage)
– Quand des noirs traînent ensembles, quand ils font des activités ensembles, montent des ateliers pour parler de sujets qui nous sont propres (en vrai quand on parle des cheveux crépus, de nos problèmes de peaux, nos difficultés familiales sur certains sujets, nos expériences culturelles etc vous pouvez venir mais comme vous ne pouvez pas comprendre nos ressentis …) on nous traite de pro-communautaires.
Si dans un film, il y a 90% du casting qui est noir et qu’il parle de noirs qui ont réussi dans la vie, sont open et cool on dit « wow attention c’est un film communautairiste ».
Mais quand on allume la télé française et qu’on se tape 90% des programmes avec des blancs, quand on regarde 9 saisons de Friends avec 1 seul personnage récurent noir (au bout de la 7e saison) ; quand dans les comités exécutifs des entreprises pour lesquels on travaille il n’y a pas de noirs, là le terme communautarisme n’est pas prononcé.
On a tous ri devant la Vérité si je mens sans crier au communautarisme et on ri encore lors des rediffusions.
Le communautarisme fonctionne dans tous les sens et dans le cas des noirs si c’est pour entendre des conneries comme « la fille est une lionne au lit obligé parce qu’elle est noire / il doit en avoir une grosse il est noir » laissez nous entre nous pour aborder des angles intéressants.
– On soutient des personnages et des actrices comme Viola Davis ou Denzel mais on sait que, bien qu’elle ai le talent d’une Meryl Streep, Viola n’aura jamais ses salaires. Oui elle fait et fera des films avec moins d’entrées, parce qu’un réalisateur n’aura pas le cran avant 10 ans d’en faire une tête d’affiche et de faire reposer un film sur elle sans que ce film ne soit connoté (n’est pas Will SMith qui veut). Black Panther a permis ça ! Donc laissez nous kiffer OKLM
– On n’a pas à s’intéresser à tous les films avec des noirs si les sujets ne nous parlent pas. On peut être noirs et avoir des goûts différents. J’ai deux frères et on n’a pas les mêmes goûts en matière de films, de lecture, de vêtements, de nourritures… on est noirs hein mais différents
– Avoir une amie, un beau-frère, une belle-mère noir(e), avoir été 2 semaines en vacances au Sénégal, avoir grandit à Saint-denis etc n’est pas un gage de savoir sur les questions noires. Nous ne sommes pas votre caution noire !Pour rappel, on a vu de gros racistes en couple avec des noirs et des suprématistes avec des enfants métis. Et en rappel 2 Marion Maréchal Lepen a une belle-mère noire. Je dis ça je dis rien !
– La communauté noire est éveillée et monte des projets pour soutenir le business black, le « black excellence », « blackowners » etc, on se construit mais on ne peut malheureusement pas soutenir TOUS les noirs, parce qu’on a un devoir de couleurs.
– Etre noir c’est dur au quotidien (boulot, recherche d’appartement, accueil par rapport à la santé, accompagnement fiscal etc), le niveau monte d’un cran quand on est une femme. Alors imaginez le combat des femmes noires musulmane, des femmes noires handicapées… On ne vous demande pas d’avoir pitié mais de savoir que vous ne comprendrez jamais entièrement parce que vous ne le vivrez jamais.
Les gens ont les fameux « white privileges » et ils n’en ont pas conscience et nous demande d’arrêter de nous victimiser. Mais euh on fait ce qu’on veut !!! Raconter, dire, parler n’est pas se victimiser.
J’avais besoin de sortir tout ça en vrac, d’extérioriser ces remarques qu’on prend plus ou moins dans la tête TOUS LES JOURS. On doit tous les jours justifier ce qu’on fait ou pas, pourquoi on se plaint, pourquoi on râle… c’est fatigant.
A la maison, au boulot, dans la rue, à l’hopital, à la banque, chez Sephora partout !Cet état de fatigue amène des pétages de plomb de ma part à des moments parfois inopportuns (belle-maman désolée pour ce fameux Noël où on s’est un peu enflammé)
Je suis quelqu’un de relativement doux, je râle facilement et m’agace vite mais je crie peu, j’agresse très rarement et je m’excuse même quand j’ai raison (par exemple, à un de mes anniversaires, une fille s’était incrustée, elle a piqué ma part de gâteau d’anniversaire et du coup un ami l’a recadré [c’était la dernière part de fraisier ) et je me suis excusée d’avoir mangé mon propre gâteau ==>> elle n’était pas invitée, je ne la connaissais pas et elle m’a engueulé… vous voyez mon niveau de faiblesse)]
Alors quand je m’agace vraiment, on me met dans la case « fille agressive » parce qu’on n’a pas l’habitude que je sois énervée.
Vous connaissez le mythe du « Angry Black Woman » ? C’est un stéréotype malheureux mais très présent dans les inconscients et j’en ai MARRE d’être assimilée à ce stéréotype
Quand une femme blanche revendique, on l’a traite de « féministe » (comme si c’était une insulte) ou on dit qu’elle a du caractère. Quand JE revendique on me dit « que je suis agressive », dominatrice etc.
Je ne suis pas une Femme noire révoltée ! Je suis une femme noire qui défend nos droits à être différents, qui ne veut pas avoir à se justifier pour la situation des noirs et leurs attitudes, et qui ne veut pas être maternée par la pensée blanche (même si elle se veut parfois bienveillante).
PS : Vous vous doutez qu’écrire cet article a réveillé des grandes envies de m’exprimer et que je vais vous en dire des choses sur l’Angry Black Woman.